samedi 22 janvier 2011

L'Origine du FA


Sociologue, anthropologue, journaliste communicateur avec un master en Communication de Développement, Jules Affodji est ce qu’on appelle au Bénin, un grand initié du Fâ. Il a publié plusieurs documents sur le Fâ et son mémoire de maîtrise a porté sur « La Recherche Traditionnelle et le Fâ ».
Il a fait plusieurs recherches sur le Fâ, depuis Lomé jusqu’au Nigeria. Au retour d’une cérémonie de prise de Fâ à Abomey, nous l’avons rencontré et il nous a livré une grande partie de ses recherches sur le Fâ.

Entretien avec Jules AffodjiQue diriez-vous si on vous demandait de parler de l’origine du Fâ ?
Parler de l’origine du Fâ, c’est trop dire. Mais ce que j’ai appris pendant mes recherches est que le Fâ est parti de quelque part en Egypte. La Haute Egypte. Mais lorsque vous allez aujourd’hui au Nigeria, on vous parlera de « Ilé Ifé » comme l’origine du Fâ. En réalité, Ilé Ifè est une ville où les gens ont beaucoup travaillé le Fâ. C’est une grande forêt dans laquelle, de jour comme de nuit, on entend toujours des sons de tam-tam. Il n’y a que les initiés qui ont le droit d’entrer dans cette forêt. Ilé Ifè est un mot Yoruba (Nigeria) qui rejoint le « Fètomè » fon (bénin), c’est-à-dire la transcendance, la maison de Dieu. D’autres parleront de Paradis. C’est pour cela que les gens pensent que le Fâ vient de là-bas. Chaque pays du Golfe de Guinée possède son langage codé de Fâ. Au Bénin et au Nigeria, on vous parlera de « Dou ». Le « Djogbé » par exemple est un signe. Lorsqu’il apparaît deux fois, on parle de « Gbémindji ». « Mindji » en Yoruba signifie « deux », les mina vous diront « Evé gbé », toujours deux signes. Je reprécise donc que chaque pays possède son langage de Fâ et il serait erroné d’attribuer son origine à un peuple. Le Fâ est considéré comme le premier prophète au monde et c’est lui qui a donné le nom à chaque objet. Au Nigeria, ce prophète s’appelle « Orumila ».


Est-ce à dire que seul le Bokonon peut donner le Fâ ?

Exactement, seul le Bokonon connaît le langage codé du Fâ. Quand le « Dou » tombe, il y a des chansons spécifiques que le Bokonon doit entonner ou des paroles qu’il doit dire. Par exemple, lorsque le « Djogbé » sort, le Bokonon dira « Djogbé alihoun », ce qui signifie « la voie est ouverte ». Mais la voie peut être ouverte vers la mort ou vers la richesse. On vous dira aussi : « Hogba to ma gba do agbéto awoyo mè. Woin na whé bo kan na whé », ce qui signifie que « personne ne peut entreprendre une construction pour couvrir la mer. Il lui manquera toujours quelque chose ». Et celui qui est venu au monde sous ce signe ne sera jamais atteint par ces ennemis. Je reviens d’une cérémonie de prise de Fâ à laquelle j’ai été invité. Il y avait une personne à qui on a trouvé le « Gbé Winlin » et on lui a dit qu’il ne doit pas boire de l’alcool. On lui a aussi dit qu’il n’a pas un bonne manière de parler aux gens, ce qui fait que tout ce qui sort de sa bouche ne lui attire que des ennuis et que l’alcool ne fera qu’aggraver cette situation et le conduira à la mort…

Avec tous les charlatans qui existent aujourd’hui, comment peut-on reconnaître un vrai Bokonon ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a une grande tendance à la désacralisation de notre culture, c’est vrai aussi que le charlatanisme prend une grande ampleur. Mais lorsque quelqu’un lance le Dou, on sent tout de suite s’il est Bokonon ou si c’est un novice. Le Dou se lit de la droite vers la gauche comme l’arabe. Nous avons 356 langages codés dont seize principaux. Il est facile de détecter un faux bokonon.

Est-ce qu’on prend son Fâ juste pour connaître son signe ou peut-on aussi acquérir le pouvoir de devenir Bokonon ?

Prendre le Fâ, c’est d’abord chercher à connaître son signe. Mais lorsque tu prends le Fâ, tu deviens Bokonon en nature. Tu peux prononcer le non des signes sans attirer des malédictions sur toi.

Aujourd’hui, il y a des cours de Fâ. Ne pensez-vous pas que cela peut dénaturer le concept ?

Je dirai non, mais c’est à condition que le cours soit donné par un initié. N’importe quel Bokonon vous dira qu’il est resté auprès d’un autre Bokonon pour apprendre. Et je crois qu’il faudrait faire en sorte que le mythe qui entoure le Fâ soit levé afin qu’il soit accessible à tout le monde. C’est parce que moi je suis tout le temps avec les Bokonons que je maîtrise tout ce qui concerne le Fâ.

Donc, vous êtes Bokonon…

Je suis Bokonon, puisque je connais le langage codé. Mais je n’exerce pas puisque je ne possède pas le chapelet que les Bokonons lancent. Mais quand je suis avec un Bokonon et qu’il lance le chapelet, je peux interpréter le Dou qui est tombé.

Y a-t-il un lien entre le Fâ, le Vaudou et la Médecine Traditionnelle ?

D’abord lorsqu’on parle de tradition, je veux qu’on s’entende sur le fait qu’il s’agit bien de la tradition évolutive. Un guérisseur traditionnel doit consulter le Fâ avant de traiter n’importe quelle maladie avec les feuilles. Le Fâ peut lui dire OUI comme il peut dire NON. Quelqu’un peut attraper une maladie des suites d’une malédiction ou parce qu’il a été incorrect avec une personne âgée. Dans le premier cas, des feuilles peuvent le guérir. Mais dans le second cas, seul un repenti sincère peut le guérir. C’est le Fâ qui détermine tout cela. Je vous donne l’exemple d’un jeune homme qui s’est rendu chez un guérisseur traditionnel parce qu’il avait des maux de tête. Après avoir consulté le Fâ, le guérisseur lui a dit qu’aucun médicament ne peut le guérir. Tout ce qu’il a à faire, c’est de retourner à la maison demander pardon à sa mère qu’il a offensé, ou alors il ne guérira jamais. Aucun Vaudounon ne peut installer son Vaudou sans consulter le Fâ. Vaudou est composé de deux mots : le Vau qui signifie le Fètomè, la maison de Dieu et le Edou qui qui signifie Fâ, dans le langage Evé. Le Vaudounon consulte donc le Fâ qui lui dit le signe sous lequel il doit installer son vaudou. Les vaudounons et les guérisseurs traditionnels ne peuvent donc exercer sans consulter au préalable le Fâ.

Y a-t-il des femmes Bokonons ?

Oui, mais elles sont en nombre très réduit. Ceci parce qu’il y a des endroits où une femme en âge de procréer ne peut aller. Lorsque vous mettez les pieds dans ces milieux, vous n’aurez plus jamais d’enfants. Il y a des choses que la femme en période de menstruation ne doit pas faire. C’est pour cette raison qu’on exige que la femme atteigne un certain âge avant d’être Bokonon. Mais la femme peut prendre le Fâ. Elle peut aller dans la forêt de Fâ et connaître son Dou.

Nous avons connu au Bénin tout récemment une colère des Vodounons envers ceux que nous appelons les membres des religions importées. Donnez-nous votre avis sur la question.

Ma thèse de Master porte sur : « Le mécanisme Traditionnel de Gestion et de Règlement des Conflits au Bénin ». La tradition africaine recommande la paix. Les religions importées sont venues s’installer au Bénin et elles ont été accueillies à bras ouverts par les Bokonons, les Vodounons… les Hauts Dignitaires du Bénin. La preuve est que lorsque vous allez aujourd’hui à Ouidah, vous aurez la Basilique Catholique juste en face des Vodounons, plus précisément devant le Temple des Pythons. Il en est de même dans plusieurs villages du Bénin. Ce genre de choses n’existe nulle part ailleurs. Avec l’arrivée des Eglises évangéliques, les problèmes ont commencé. Ces derniers n’ont que des injures à l’endroit des Praticiens du Fâ, des Vaudounons, des Praticiens de la Médecine traditionnelle… bref, de nos cultures. Ils disent que le Vaudou est le fétiche, que le Lègba est le satan. Les Dignitaires n’ont pas vite réagi car ils ont toujours des réactions très lentes. C’est parce qu’ils en avaient eu assez qu’ils ont décidé d’écrire au Président de la République, aux Institutions de la République, à tous ceux qui pouvaient les entendre pour se plaindre et exiger que les injures s’arrêtent. Si la guerre a toujours été évitée au Bénin, c’est surtout grâce à ces Hauts Dignitaires. En 1989, tout le monde s’attendait à une guerre ici, mais grâce aux prières et aux interventions des hommes de notre culture, elle a été évitée.

Oui, mais l’Eglise Catholique s’y était aussi fortement impliquée…

Je suis d’accord avec vous, mais nous avons fait ici de l’immersion culturelle. Les nôtres ne maîtrisant pas la langue française, ils ont accepté que les autres se mettent devant pour parler avec tout le monde. Mais les Catholiques connaissent le rôle que nos Dignitaires ont joué. Je dois dire que l’Eglise Catholique cohabite vraiment avec nos cultures. A Cotonou, vous avez le Centre Catholique SEGNON qui pratique les feuilles. Lorsque le Pape Jean-Paul II arrivait dans un pays, son premier geste, c’est d’embrasser la terre. Et chez nous, la terre symbolise le Vaudou SAKPATA…

Votre dernier mot

Je n’aurai pas de dernier mot, mais je vais continuer à dire que dans notre culture, il existe le bien et le mal. Je vais donc inviter mes concitoyens à privilégier tout ce qu’il y a de bien dans notre culture, à cultiver l’immersion culturelle et à être fiers de leur culture. Notre culture est riche, le Fâ est riche et par le biais du Fâ, vous pouvez sauver votre vie. Je remercie Afiavi Magazine de m’avoir permis de parler de ce sujet qui m’est très cher.

Interview réalisée par Elvire ADJAMONSI



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