mercredi 11 juin 2014

La voyance est elle une hérésie ?

Comment l'Église considère la voyance ? 

L'a-telle acceptée comme phénomène réel ? Est ce permis de consulter un voyant ? 

Les réponses dans cet entretien tiré du livre Au Coeur de la Voyance, de Josette Alia et Yaguel Didier, une voyante d'exception.








Un entretien avec le père Jean Vernette, docteur en théologie

Par Josette Alia

La voyance est elle une hérésie ?


Josette Alia - « Mon père, vous représentez l'Église et vous exprimez, en tant qu'exorciste et spécialistes des nouvelles formes de religiosité, le point de vue autorisé de la tradition chrétienne sur ce qu'il est convenu d'appeler les sciences de la divination. Que faut il penser de la voyance ? Peut on vraiment connaître l'avenir ? La divination est-elle reconnue, acceptée par l'Église ?
Jean Vernette - Les faits sont là : la précognition, la télépathie, la clairvoyance ou le pressentiment du futur sont des phénomènes reconnus, vérifiés, plus courants qu'il n'y paraît. L'Église en tout cas les admet.
JA - Comme d'une réalité d'essence divine ou humaine ?
JV - Comme une sorte de sixième sens, un différent des cinq sens habituels, mais qui relève de la nature humaine.
JA - Un sixième sens qui mettrait l'homme en rapport avec... quoi ? L'au-delà ? Dieu ?
JV - Un sens particulier qui semble prouver l'existence, entre l'homme et le cosmos, de rapports d'influences autres que ceux définis par les cinq sens habituels. Mais ceci n'a rien de religieux. Ce serait plutôt une manière particulière de lire les choses de la nature. Chacun de nous semble posséder à l'état latent la capacité, plus ou moins développée, de projeter sa pensée dans celle d'autrui et d'accueillir les pensées de l'autre. Cette faculté permet à certains sujets particulièrement doués de percevoir des faits de la vie d'autres personnes, relevant de leur passé, leur présent, voir même de leur futur. C'est un art inné qu'on peut travailler, développer.

JA - Si cette faculté existe d'une manière « naturelle », pourquoi ne peut-on pas en faire la démonstration, en donner la preuve ?
JV - Il y a deux types de preuves. D'abord celle de l'observation courante : on sait que deux jumeaux vrais peuvent ressentir au même moment les mêmes émotions, même s'ils sont très éloignés l'un de l'autre. Une mère perçoit à distance le danger qui menace son enfant. Un mourant avertit tel proche de sa fin imminente. De tels messages télépathiques sont nombreux et ont souvent été vérifiés d'une manière irréfutable.
JA - Mais personne ne les a vraiment expliqués...
JV - Je dirais pour aller vite qu'il s'agit sans doute là d'un reliquat de l'instinct animal primitif : le chien perçoit la détresse de son maître, le loup devine de très loin l'appel de la horde, les chats sentent venir un tremblement de terre, les abeilles échangent des informations en modifiant le tracé de leur vol, les hirondelles prévoient le temps qu'il fera. Il y a d'innombrables exemples dans le monde animal de ces phénomènes de prescience dont nous, pauvres humains, avons perdu la clé. D'autres preuves sont données par l'observation scientifique : les expériences sur la clairvoyance réalisées par le professeur J-BRhine donnent la mesure de ce qu'on peut vérifier en laboratoire. Certes, chacun ensuite interprétera à sa façon les résultats statistiques ainsi obtenus. On peut considérer que let taux moyen de réussite ne dépasse pas ce que serait un tirage aléatoire, ou estimer au contraire qu'il s'agit bien d'une expérience ayant une valeur scientifique, qui fonde le caractère scientifique de la parapsychologie.

JA - Peut-on parler de la parapsychologie comme d'une science ?
JV - La parapsychologie n'a pas encore pu se doter d'un statut de science au sens épistémologique du terme, bien qu'elle ait consenti de gros investissements pour y parvenir. Mais elle est – et c'est peut être plus intéressant – un effort de compréhension de phénomènes qui échappent, pour l'instant, au champ des sciences reconnues. On a trop souvent tendance à extrapoler à tous les phénomènes humains les critères dits « scientifiques » - comme la possibilité de reproduction des expériences – qu'on applique aux sciences de la nature. Ce faisant, on néglige l'aspect subjectif, affectif, intuitif des réalités humaines. Je ne vois pas par exemple comment on pourrait reproduire sous microscope ou en laboratoire un acte d'amour. Ou bien on le réduit au processus spermatozoïde plus ovule. Mais a-t-on alors atteint toute la dimension de ce qu'est l'amour ? Surement pas.


Le père Jean Vernette


JA - La voyance relèverait donc de cette dimension émotive, intuitive, elle serait en somme une faculté tout à fait naturelle mais irréductible à la science positive ?
JV - Il est pour moi absolument évident que clairvoyance, télépathie, prémonition, relèvent de l'intuition, de l'affectivité, je dirais même de la créativité. On peut comparer la voyance à la création artistique. Elle est intermittente, on ne peut reproduire à volonté ses effets, pas plus qu'on ne peut reproduire à volonté ses effets, pas plus qu'on ne peut reproduire un chef-d'œuvre. L'acte de clairvoyance sur l'avenir fonctionne comme l'acte de création dans le rêve ou l'acte de mise au monde d'un tableau, d'un poème, d'une mélodie. On peut appeler cela un « phénomène psi », un sixième sens, une « perception extrasensorielle », bien qu'aucune de ces définitions ne soit satisfaisante. Mais dans tous les cas, la voyance relève d'une faculté humaine, bien humaine.

JA - Mais alors, si prévoir l'avenir est une chose aussi... naturelle, pourquoi l'Église condamne-t-elle la voyance ? Car la Bible condamne bien la divination, n'est ce pas ?
JV - Il faut distinguer. La voyance est une faculté naturelle, de sens « neutre » en quelque sorte. La divination est nettement différente. Elle recèle une subtile volonté de prise de contrôle de l'avenir de quelqu'un, d'un avenir que l'on pourrait lui « prédire » comme devant certainement arriver, niant et violant ainsi sa liberté. Or notre avenir, dit la Bible, nous appartient totalement en tant qu'hommes libres, en collaboration avec Dieu. Aussi est-elle très sévère pour ceux qui s'attribuent des pouvoirs de divination. Ces pouvoirs relèvent, dit-elle, de la magie et la magie n'est pas bonne pour l'homme, elle le trompe, m'asservit, l'aliène. Le Deutéronome interdit formellement aux juifs la pratique e la divination : « On ne trouvera chez toi personne qui pratique divination, incantation ou magie, personne qui use des charmes, qui interroge les spectres des esprits, qui invoque les morts » (Deutéronome, XVIII, 10-11). Même chose dans Isaïe : «Qu'ils se lèvent donc pour te sauver, ceux qui détaillent les cieux, ceux qui observent les étoiles et font savoir chaque mois ce qui doit advenir (Isaïe, XLVII, 12-14); «C'est moi qui rends inefficaces les signes des magiciens et qui rends fous les devins » (Isaïe, XLV, p25-26). Ou dans le Lévitique : «Ne vous tournez pas vers les spectres et ne recherchez pas les devins, ils vous souilleraient ! Je suis Yahvé votre Dieu!» (Lévitique, XIX, 31 et XX, 6-27).

JA - Pourtant, la Bible admet l'existence d'esprits évoluant dans un autre monde ?
JV - Le Credo des chrétiens le dit clairement : « Je crois au Dieu créateur de l'univers visible et invisible. » Mais ces esprits qui appartiennent au « monde invisible » ne sont pas tous fidèles à Dieu, n'ont pas tous reçu de Dieu la mission d'aider les hommes à trouver la Voie. Certains se sont révoltés contre leur Créateur : « Nous sommes affrontés... aux dominations de ce monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux », écrit Paul dans l'épître aux Ephisiens (VI, 12).
JA - Alors, comment savoir si certaines prédictions, au lieu d'être l'effet d'un sixième sens tout à fait humain, ne sont pas inspirés par ces esprits, venus du monde invisible, qui peuvent être des esprits démoniaques ?
JV - L'apôtre Jean avertissant ses disciples : 'N'ajoutez pas foi à tout esprit ! Mais éprouvez les esprits pour savoir s'ils sont de Dieu! » (1er épître de saint Jean, IV, 1). En d'autres termes, on reconnaît les esprits bénéfiques à ce que leurs prédictions ou enseignements restent conformes à la Révélation divine. Le maître de Nazareth disait : 'Il faut juger l'arbre à ses fruits. » Cela vaut pour toutes les activités humaines, y compris la voyance.


Josette Alia


JA - Excusez-moi, mon père, mais je comprends plus très bien. L'Église condamne-t-elle ou pas la voyance ?
JV - Elle ne condamne pas la voyance mais ses dérapages. Et ils sont nombreux. Par exemple, le charlatanisme, qui consiste à utiliser ses dons pour exercer sur autrui un pouvoir qui peut prendre une forme quasi religieuse, comme le font les gourous. On ne doit pas non plus glisser dans l'orgueil naïf et dans la volonté de puissance. Je prendrai deux exemples, celui du mouvement des Rose-Croix, qui promet à ses adeptes de développer leurs pouvoirs psychiques et leurs perceptions extra-sensorielles, dans le but non pas d'accroître leur « potentiel », comme il l'affirme, mais pour dominer autrui. Même chose pour la méditation transcendantale, qui est au départ une bonne méthode de relaxation inspirée du yoga mais qui dérape lorsqu'elle promet l'acquisition de pouvoirs de lévitation, de déplacement dans l'espace et le temps. En fait, ce que l'Église condamne ce n'est pas la voyance mais un certain exercice de la voyance, lorsqu'il conduit à une survalorisation orgueilleuse du Moi.

JA - Mais l'Église reconnaît le pouvoir de lévitation et bien d'autres pouvoirs, aux saints, aux mystiques ou aux bienheureux...
JV - La lévitation est un fait. J'en ai été le témoin direct en Inde. Elle est inscrite, et pratiquée, dans divers religions, en particuliers les religions bouddhiste et hindouiste. La religion catholique admet que saint Philippe de Neri ou sainte Thérèse d'Avila aient eu le pouvoir de s'élever dans les airs. Mais ces épiphénomènes correspondent toujours à un certain degré d'élévation spirituelle. Ils se retrouvent d'ailleurs dans pratiquement toutes les civilisations comme symbole de l'élévation vers le haut. A partir d'un certain degré d'ascèse et de méditation, certains pouvoirs psychiques se manifestent presque inévitablement. Mais le critère de l'Église, c'est que justement le bénéficiaire de ces dons n'en fera pas montre, car s'il le faisait il régresserait dans sa progression spirituelle. C'est tout le différence avec le fakir qui, ayant acquis certains pouvoirs par une ascèse ou par la domination de son corps, utilise cette supériorité pour assoir son autorité sur ses disciples ou en tirer de l'argent.
JA - Est-ce que cela signifie que le voyant a le droit de « voir », mais pas celui d'en faire un métier ?
JV - Il ne doit pas en faire la démonstration orgueilleuse. Tout est dans l'intention. L'Église admet fort bien que chaque homme puisse avoir le pouvoir de guérir, ou d'arrêter le feu. On appelle cela des grâces ou des charismes. Des grâces, parce qu'elles sont données pour le bien de tous, des charismes au sens d'une grâce spéciale accordant le pouvoir de guérir, de lire dans les pensées, de prévoir l'avenir.

JA - Vous citiez pourtant tout à l'heure des versets de la Bible qui, sur ce dernier point de la divination, sont extrêmement sévères. Il n'est pas question de grâce divine, mais de devins ou magiciens vers lesquels on ne doit pas se tourner, si on en croit saint Paul ?
JV - Là encore, il faut être vigilant et agir avec discernement. Tout dépend de l'esprit qui anime le voyant. Le curé d'Ars était doué du charisme de clairvoyance, mais il l'utilisait pour le bien spirituel de ceux qui recouraient à lui. En revanche, il y a dérapage grave lorsque le voyant attribue ses prédictions à l'intervention d'être supérieurs, guides, anges, esprits ou «désincarnés » , comme l'affirme par exemple la doctrine spirite.
JA - Les anges, et d'ailleurs les démons, existent pourtant dans la théologie chrétienne ?
JV - Oui, mais pas en tant qu'intermédiaires de Dieu. Si on attribue la connaissance de l'avenir à des entités supérieures, on glisse dans le spiritisme, l'occultisme, la démonologie, la magie blanche ou noire, toutes pratiques que l'Église condamne fermement. Je reconnais que la frontière est difficile à tracer entre ce qui est admis et même recommandé en matière de sainteté et de prophétie, et de ce qui est condamné et condamnable en matière de divination.


Cathédrale de Chartres

JA - Normalement, pour un chrétien, l'avenir appartient à Dieu et à lui seul.
JV - Oui, mais l'homme reste libre d'accepter ou de refuser ce que Dieu lui offre. Ce sont nos engagements et nos décisions personnels qui construisent notre avenir et, selon la foi chrétienne, notre éternité. Le voyant ne peut donc prétendre énoncer d'une manière certaine l'avenir de quelqu'un. Ce serait nier la liberté de l'homme. IL ne peut qu'avoir une connaissance fine, une prémonition ou pressentiment des évènements à venir. Il indique, suggère, mais n'impose pas. L'émotion, l'intuition, l'irrationnel ont leur valeur mais ils doivent restés sous le contrôle objectif de la raison. Le discernement s'appliquera aux théories explicatives avancées pour comprendre la voyance, l'astrologie, la divination, tout ce qu'on appelle les « pouvoirs psy ». ces théories glissent souvent vers des interprétations erronées, qu'il s'agisse de l'annonce d'un « Nouvel Age » corrélatif de la prédiction de la fin du christianisme appelé à disparaître avec l'ère des poissons sous laquelle il est né, ou de ce que qu'on appelle aujourd'hui l'ésotéro-occultisme, doctrine philosophico-religieuse qui diverge du christianisme sur des points importants, comme la conception d'un Dieu-Énergie ou d'un Dieu « cosmique », bien différent du Dieu personnel révélé par Jésus-Christ, ou la doctrine de la réincarnation comme loi universelle de l'existence humaine, qui diverge de la foi chrétienne e la Résurrection.

JA - En somme, vous préconisez une démarche prudente sur un terrain miné qui serait celui de la voyance ?
JV - Je crois que consulter un voyant n'est pas un acte banal et neutre. Il engage le devin, qui peut être tenté par la volonté de puissance, et son consultant, qui peut en sortir fragilisé voire dépendant. Enfin, cela amène à se situer par rapport à son propre avenir : attitude de lutte ? De démission puisque « tout est écrit » ? de soumission devant un fatum impersonnel et aveugle ? Alors que pour un chrétien il appartient à chacun de construire, en collaboration avec Dieu, librement son destin.





Au coeur de la voyance
Josette Alia - Yaguel Didier
Edition Plon
1995, Paris France
238 pages
pages 186 - 195





A lire aussi

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire